Awa SEYE - Une femme au parcours riche d'expériences
Agée aujourd’hui d’une soissantaine d’années, Awa est une femme originaire du village traditionnel de pêcheurs de Guet NDAR au Nord du Sénégal. Comme toutes les femmes venant de familles traditionnelles de pêche – et plus particulièrement dans ce village de Guet N'dar caractérisé par la survivance d’un riche patrimoine culturel – cette femme s’occupe de la commercialisation des produits débarqués par la pirogue appartenant à la famille. Elle dispose aussi, avec ses deux sœurs, d’un petit espace sur le site de transformation appelé « Sine » où, à trois, elles se relaient pour transformer sous forme « braisé » ou « salé-séché » les produits de la pêche. Il peut s’agir des surplus des débarquements de leur unité familiale ou tout simplement des produits achetés ailleurs. Encore en 2011, on continue à constater que les sites de transformation, malgré le rôle prépondérant des femmes qui en sont les principales actrices, sont dépourvus de facilité, presque dans les conditions similaires d’avant l’indépendance dans les années 60.
Si Awa ressemble aux autres femmes de la pêche, elle a une trajectoire qui la spécifie à bien des égards. Cette singularité repose sur ses expériences d’une part mais aussi son engagement atypique non seulement pour les femmes mais aussi pour les communautés de pêche au Sénégal en général. Sans être exhaustif, on peut citer un certain nombre de ses réalisations.
Premièrement, cette femme est devenue par la force des choses la première et l’unique accoucheuse à domicile (appelée matronne) reconnue par les autorités officielles sanitaires et médicales du pays, à partir des années 85. Cette passion ou cette mission ne lui est pas venue du ciel comme cela. Vivant dans une communauté où on enregistrait beaucoup de décès (mères et nouveaux nés lors des accouchements), Awa a elle-même eu quatre enfants morts nés. Cette communauté de pêcheurs étant très islamisée, les pertes humaines lors des accouchements étaient tout simplement mises à l’actif de la volonté divine. Comme Astou, la femme rencontrée à Yoff et pratiquant le mareyage dans les beaux quartiers de Dakar, Awa aussi vendait du poisson dans la partie riche de la ville de Saint Louis caractérisée encore par les maisons de type colonial.
C’est ainsi, qu’elle a fait la connaissance d’un médecin de l’hôpital, qui y habitait et à qui elle avait un contrat – quoi que tacite mais régulier - de livraison de poisson. Ce dernier, très touché par le nombre d’enfants perdus par Awa, lui a proposé une formation pour qu’elle puisse aider à son tour sa communauté. C’est ainsi qu’Awa a assisté pendant une dizaine d’années de nombreuses femmes à accoucher dans son salon, qui fait 5m sur 3m. Il s’en est suivi pratiquement un arrêt des décès auparavant enregistrés dans la mesure où, dès qu’elle rencontre des limites dans son assistance les médecins prennent le relais. A cause des vies qu’elle a sauvées, elle est l’une des personnes qui comptent le plus d’homonymes dans une même localité : une bonne partie des bébés qu’elle a sauvés portent son nom dans leur registre de naissance, une sorte de récompense de la part des parents qui n’y croyaient pas. Son engagement et son travail en vue d’endiguer le fléau qu’est le nombre de décès lors des accouchements ont été davantage couronnés de succès avec la construction d’un poste de santé maternelle et infantile, où elle accouche et où elle a formé des jeunes filles avec qui elle assure aussi un important volet de formation sur le VIH dans une communauté de pêcheurs, caractérisée par ses mouvements migratoires en Afrique de l’Ouest.
Deuxièmement, Awa symbolise la lutte interne, que les femmes peuvent mener au sein d’une organisation pour leur représentativité au niveau du processus décisionnel. C’est grâce à elle que les femmes occupent des postes dans le directoire national du Collectif national des pêcheurs artisanaux du Sénégal (CNPS). Elle est non seulement dans le directoire national, mais elle s’est battue pour la mise en place d’une cellule féminine nationale au sein du CNPS dont elle est la présidente. Plusieurs articles lui ont été consacrés dont celui parlant de « ….un mouvement dans un mouvement, Yemaya - ICSF».
Troisièmement et enfin, Awa s’est fait remarquée dans la zone de la langue de Barbarie où il y a un réel conflit spatial entre pêche et tourisme balnéaire. Dans cette zone tant convoitée par les touristes, au moment où le village de Guet N'dar est confronté à un problème d’espace, Awa a éveillé la conscience des femmes dont les droits d’accès à la terre – ne serait ce que pour le besoins des activités de transformation – étaient remis en cause. C’est ainsi qu’avec leur groupe de femmes, elles se sont bien battues auprès de la Mairie pour non seulement avoir des espaces où travailler mais aussi pour bénéficier de terres affectées à leur nom dans une perspective d’extension du village actuel où la densité au km2 est l’une de plus élevées au monde.
Son engagement dans la lutte pour préserver le droit d’accès à la terre pour les femmes explique d’ailleurs pourquoi le CREDETIP (ONG sénégalaise de pêche) a toujours valorisé l’expérience de Awa lors des différents ateliers que cette ONG a animés au Sénégal sur la thématique de la difficile cohabitation entre la pêche et le tourisme, ainsi faisant partager l'expérience d'Awa avec des femmes d’autres zones sous la menace de l’expropriation foncière au profit du tourisme.
Dans la suite, quelques photos de plus afin de donner une idée des conditions extrêmement rudimentaires et exigues en vertu desquelles les femmes de Guet N'dar doivent vaquer à leurs occupations de transformation du poisson.
Cliquez ici pour un diaporama plus complet sur leurs conditions de travail.