5. La globalisation et la marginalisation des entrepreneurs femmes et hommes locaux
Si la globalisation par opposition à la mondialisation a trait à l’expansion des marchés, il s’agit d’un processus qui a commencé à affecter les pêcheries ouest africaines – y compris le sous-secteur artisanal - depuis plusieurs décennies. En effet ces pêcheries connaissent depuis si longtemps la présence d’investisseurs étrangers. Ceux-ci ont toujours développé les stratégies de pénétration du secteur en tenant compte des contextes locaux d'une part, mais aussi en les adaptant à leurs besoins d'autre part. Il en est ainsi, en guise d’illustrations de quelques-unes de ces stratégies ayant eu cours (i) introduction d’engins de pêche pour la sous-filière artisanale des céphalopodes par les japonais en passant par les mareyeurs, (ii) acquisition de propres unités de production / pirogues par les usiniers exportateurs pour éviter des ruptures en approvisionnement, (iii) recours aux compétences / aptitudes dont recèlent les communautés de pêcheurs pour le recrutement de marins à bord de bateaux de pêche hauturière de senneurs et canneurs, mais aussi la pêche océanique à l'albacore dans l'Océan indien, etc.
Ainsi, la Guinée comme faisant partie intégrant de cette écorégion ne saurait être épargnée par ce phénomène. Mais si la globalisation n’est pas un phénomène récent, ces promoteurs sont à la recherche perpétuelle de stratégies en vue de s’assurer un approvisionnement régulier en produits, quels que ce soient les impacts que cela pourrait engendrer. En effet, lors des passages multiples dans ce site au cours des cinq dernières années permet de palper l’emprise croissante de la globalisation des marchés sur la pêche artisanale et sur les communautés qui en dépendent. Parmi ces faits, les plus marquants sont :
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Une nouvelle stratégie de la part des Coréens consistant à détenir leurs propres unités de pêche artisanale et à recruter parmi les pêcheurs artisanaux. Elles ciblent l’otolithe et la sole destinés à l’exportation. Les captures sont débarquées au port de Boulbinet : l’otolithe et la sole pour l’exportation et le reste des captures accidentelles dénommé « poisson africain » commercialisé auprès des femmes micro-mareyeuses et fumeuses (notamment le machoiron) ;
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Une sous filière mise en place récemment dénommée « pêche artisanale avancée » initiée par les Chinois et en plein essor, utilise des petits bateaux en bois avec moteur inbord dont les pièces sont élaborés en Thailande et rassemblées en Guinée. A bord de ces petits bateaux sont recrutés environs une dizaine de pêcheurs artisans, avec un chinois embarqué pour contrôler les opérations de pêche. La spécificité de cette sous filière est que les débarquements sont faits au niveau du Port autonome de Conakry où les chinois ont aménagé des entrepôts frigorifiques où l’otolithe et la sole sont conditionnés pour être exportés. Cela rend davantage difficile d’assurer la traçabilité des produits et de connaître les quantités prises. Le reste, le « poisson africain », est commercialisé au grand marché urbain de Conakry dénommé KENIE par les Chinois, qui passent par des femmes recrutées comme agents. C’est à partir de ce marché que bon nombre de femmes - qui s’approvisionnaient auparavant à même le port de Boulbinet - achètent les produits. Il s’agit de ménagères, femmes restauratrices et transformatrices ;
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A cette catégorie d’opérateurs chinois, s’ajoute une deuxième qui, contrairement aux Coréens impliqués dans la pêche artisanale en détenant leurs propres unités de production (point I ci-dessus), sont des collecteurs / mareyeurs en frais auprès des pêcheurs artisanaux. Ils ne s’intéressent qu’à l’otolithe qu’ils exportent via des circuits tenus dans le secret. Là aussi se pose un problème de la traçabilité des produits.
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Sur la voie de Chinatown ? Au-delà de cette présence physique de ces asiatiques dans la pêche artisanale qui illustre en quoi la globalisation est un processus qui va vite et loin (là où one ne l’attendait point il y’a quelques années en arrière), il y’a un autre fait marquant qui dénote de l’emprise de la globalisation sur les communautés de pêcheurs en Guinée. Il s’agit du processus d’implantation des chinois dans l’un des quartiers les plus traditionnels de Conakry, à savoir Kaloum dont fait partie intégrante Boulbinet et et juste à côté du port de Boulbinet.On y trouve dorénavant : magasins d’alimentation, restaurants et autres coins pour massage ayant l’allure de maisons closes, tous réservés exclusivement aux chinois où l'auteur a tenté de faire un achat mais il a été refoulé à plusieurs reprises. La chose la plus extraordinaire est le caractère si fermé de ces endroits réservés à eux seuls alors qu’ils sont aménagés en plein centre de ce quartier populaire.
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Les opérateurs libanais: Pêcheurs sportifs tout court ? Pêcheurs artisanaux commerciaux propriétaires et / ou poissonniers exportateurs?
Si l’implantation des asiatiques ci-avant décrite dénotent de mutations profondes dans la trajectoire des pêcheries artisanales guinéennes, la présence des Libanais en est une autre illustration. Depuis environs quatre à cinq ans, on assiste à l’arrivée de ces derniers en nombre croissant. Leur spécificité réside dans le fait (i) qu’une bonne partie d’entre eux détiennent leur propre unité de pêche et (ii) qu’ils tiennent tous des poissonneries à partir desquelles ils commercialisent des espèces nobles destinées principalement vers l’exportation : Europe, Afrique aussi. A la demande des clients, les produits peuvent être conditionnés en frais dans des caisses en polystyrène. En peu de temps, le nombre de ces poissonneries s’est accru dans le quartier de Kaloum / Boulbinet. Un des aspects assez intriguant de cette filière est que ces opérateurs se déclarent « pratiquer la pêche sportive » en dépit du caractère commercial de leurs activités.