Les premiers pas ont été faits pour engager le dialogue d'une rive à l'autre de l'océan Atlantique. Tout a commencé par une conversation sur l'Académie de la pêche artisanale au Sénégal lors de l'événement Slow Fish à Gênes en 2019. Cela avait suscité l'intérêt d'Ana Isabel Marquez Perez. Alors qu'elle organisait le 3e Festival de la navigation traditionnelle dans les Caraïbes avec son équipe sur son île natale de Providencia pour septembre 2021, elle a invité Mundus maris et les membres de l'Académie de Yoff à échanger sur les conditions des pêcheurs artisanaux et leurs traditions de construction de bateaux.

L’île est rattachée à la Colombie bien que plus proche du Nicaragua dans les Caraïbes. La conférence en ligne ‘Outre Atlantique’ eut lieu à deux reprises:

Lors de la première conférence, le 10 septembre, Cornelia Nauen de Mundus maris rappela le rôle de l’Académie en tant que support opérationnel pour la mise en oeuvre, sur une base volontaire, des Directives pour l’assurance de la durabilité de la pêche artisanale. Ces recommendations ont été adoptées par le Comité des Pêches de la FAO en 2014 suite à une large consultation à travers le monde, mais rencontrent des difficultés pour la mise en pratique.

Les pêcheurs artisanaux sont en effet sous pression dans la plupart des pays, dans la mesure où la pêche industrielle, souvent subsidiée par les pays d’origine plus riches, engendre une surpêche généralisée et une dégradation de la resource.

De plus l’Afrique de l’ouest est devenue un carrefour pour la pêche illégale, non régulée et non recensée (INN), entrainant un revenu décroissant pour les pêcheurs côtiers locaux et une perte significative de rentrées fiscales pour les pays en voie de développement qui ne peuvent s’offrir la moindre perte.

L’objectif déclaré de l’Académie est de renforcer les capacités des hommes et des femmes artisan-pêcheurs à améliorer leur niveau de vie au travers d’une action individuelle et collective. Cornelia fit une brève description de la phase pilote où les méthodes d’apprentissage actif et inclusif furent testés parmi tous les apprenants de l’Académie et leur permettait une participation équitable.

Chaque cycle d’étude commence par une vision qui donne l’orientation et la direction. Les plans d’action individuelle et collective élaborés par les participants et validés par la famille, les voisins et la communauté tracent un parcours de changement permettant de réaliser la vision en l’espace d’un an. La méthodologie est illustrée par une courte vidéo réalisée par Mundus maris et disponible sur le canal YouTube de l'organisation.

L’Académie réunit les différentes parties-prenantes et constitue un espace sécurisé de dialogue, de mise en commun de connaissances, de créativité et d’innovation allant jusqu’à permettre certaines avancées technologiques. L’invention la plus récente est une application (App) pour téléphone portable indiquant la taille minimale d’un poisson et la vulnérabilité de l’espèce à la surpêche, sur base de la seule information du pays et du nom commun du poisson et ce quelle que soit la langue.

L’App pourrait ainsi aider les commerçantes à dégager un meilleur bénéfice de la vente des poissons ainsi qu’être utilisée comme outil pédagogique dans les écoles.

Les diapositives (en anglais) de la présentation fait en espagnol sont disponibles ici.

La deuxième conférence, le 23 septembre, fut l’occasion de réunir enfin tous les praticiens. Fidèle à l’objectif du festival et à la passion des habitants de San Andrès de la Providencia pour les bateaux à voile, grands ou petits, tous étaient curieux d’apprendre les clefs de la construction navale outre atlantique. A l’occasion de cet évènement, Aliou Sall de Mundus maris au Senegal avait invité Ibrahima Sylla maître-constructeur de bateau mais également artiste-peintre mieux connu sous le nom Ibrahima Thioye, Mamadou Sall également connu sous le nom de Mod Dia, Abdoulaye Gueye, pêcheur, et Seynabou Diouf, micro-mareyeuse. Ces derniers sont respectivement Président et vice-Présidente du conseil de l’Académie à Yoff. Il y avait également d’autres membres du Conseil comme la micro-mareyeuse Rokhaya Diène et les pêcheurs Abdoulaye et Papa Dial, membre dirigeant de l’association locale réputée Freyr Yoff. La conférence fut également ouverte aux étudiants doctorants avec la participation de Oumar Sow.

Le constructeur naval expliqua combien il était compliqué de trouver du bois pour construire les pirogues sénégalaises traditionnelles d’autant qu’elles sont actuellement plus grandes et que la sécheresse au Sahel restreint la resource en bois. Ce dernier venait dans le passé de Gambie et de Casamance au sud du Sénégal, mais aujourd’hui les planches doivent être acheminées de Guinée et même de la Côte d’Ivoire. La demande de planches de grande taille se justifie par la volonté des propriétaires de pouvoir déployer de large filets tournants permettant de capturer de petits poissons pélagiques, des sardinelles et des bonga, ce qui a exigé également une adaptation des outils et des méthodes de construction.

Alors que la construction de bateau était à l’origine une affaire de compétences spécifiques transmises au sein des familles, la demande est telle aujourd’hui que l’apprentissage est devenu monnaie courante y compris pour les profanes qui peuvent en vivre décemment.

Même si le gouvernement fait la promotion des bateaux en fibre de verre pour palier à la crise du bois, les pêcheurs préfèrent de loin les pirogues en bois et pas seulement parce qu’elles sont moins cher que les bateaux en fibre de verre.

A la Providence, le bois est rare et les pêcheurs ont adopté depuis longtemps les bateaux en fibre de verre qui sont beaucoup plus petits que les pirogues sénégalaises. Quelques voiliers en bois sont toujours utilisés mais peu participant encore à la course, une passion réservée aux petits voiliers en bois (image de droite).

Les images de pirogues suscitaient la curiosité en raison de leurs motifs colorés. Modou nous expliqua que le défi principal est non pas la peinture en elle-même, mais la réalisation du dessin, véritable interaction entre la sensibilité de l’artiste et la demande du client. Certains demandent une illustration de la déesse de l’eau, d’autres d’un chef religieux ou de symboles particuliers. Dans tous les cas, les peintures sont typiques d’une région et servent d’immatriculation de la pirogue.

Plusieurs questions concernèrent la pêche en elle-même. Abdoulaye Gueye expliqua qu’essentiellement deux types de pêche existent à Yoff: les grandes pirogues équipées de filets tournants pour la pêche des petits poissons pélagiques et les pirogues plus petites pour la pêche à la ligne ou au filet dérivant d’espèces de plus grande valeur.

 

 

Les conflits avec les bateaux de pêche industrielle sont monnaie courante, notamment lorsque ceux-ci pêchent illégalement la nuit dans les eaux côtières après avoir coupé leur système d’identification automatique. La perte de filets dérivant en est une conséquence. Les bateaux chinois et espagnols sont souvent impliqués dans ces conflits mais la récente législation exigeant des navires de battre le pavillon sénégalais lorsqu’ils sont en opération pour deux ans dans les eaux sénégalaises, a pour conséquence de brouiller la distinction entre bateaux nationaux et internationaux.

Tandis que les discussions au pays sont animées entre les pour et les contre de la production de farines de poissons en regard d’une nourriture abordable pour la population locale, il faut constater qu’il n’y a pas de fabrique de farine de poisson à Yoff.

En ce qui concerne la commercialisation du poisson, Seynabou Diouf nous apprit qu’elle se lève à 6h du matin pour préparer le petit-déjeuner et apprêter les enfants. Après quoi elle se rend vers 8h sur le lieu du débarquement des poissons fraîchement pêchés. Le défi est d’avoir suffisamment de cash empruntés à la famille ou à des partenaires commerciaux, permettant d’acheter suffisamment de poisson à un bon prix pour pouvoir l’offrir à la vente sur le marché. Certains matins, le poisson est plus rare et il faut dépenser plus par caisse.

Si plus de bateaux viennent débarquer leurs poissons l’après-midi, la surabondance entraine la diminution des prix. Et si elle ou d’autres femmes n’ont pas suffisamment d’argent pour acheter la cargaison, le commandant peut décider de repartir débarquer jusqu’à deux heures au nord à Cayar plutôt que d’accorder un prix peu élevé ou de vendre à crédit.

Elle indiqua également que l’absence de credit abordable est un immense défi pour les commerçantes de poisson car personne, pas même un membre de la famille, voudrait vendre à crédit du poisson fraîchement débarqué.

En dépit de certaines difficultés techniques et de la nécessité de traduire en différentes langues, les échanges entre l’Académie de Yoff, du Sénégal et l’équipe de San Andrès (Colombie) furent intéressants et inspirants pour tous. C’est peut-être le point de départ d'autres échanges.

Traduction française de Christiane van Beveren.