Danny van Belle est un photographe et un documentaliste sous-marin belge renommé travaillant avec son épouse en tant que « observatrice » pour documenter la beauté de la vie marine, en particulier dans les tropiques. Il était le président du jury pour le concours de la Journee mondiale de l’océan 2014 organisé par Mundus maris. Dans ce concours les jeunes ont raconté des histoires relatives à la mer à travers des œuvres artistiques. Retournant de son dernier voyage exploratoire au Pacifique,
Mundus maris a saisi l’occasion pour interviewer Danny van Belle au sujet de son travail et comment ce dernier change au fil du temps.
MM: Vous effectuez un travail fascinant comme photographe et vidéaste sous-marin. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous avez choisi une profession si rare et comment ça marche?
DvB: Tout a commencé en 1996, lors de mes vacances en Thaïlande. Attiré par les eaux chaudes tropicales de la mer d'Andaman, j'ai décidé d'apprendre la plongée. J’ai suivi le cours de «PADI Open water driver». Cette expérience a été déterminante car un an après j’avais déjà effectué tous les cours de plongée pour devenir «instructeur en eaux libres» de PADI. Et je me suis installé en Thaïlande pour y travailler.
Il était difficile d’expliquer la beauté du monde sous-marin par des mots. J'ai décidé très vite de prendre une caméra vidéo avec moi pensant que je pourrais ainsi partager mes sentiments et mes émotions avec des non-plongeurs.
Après quelques années de travail comme instructeur, J'ai décidé de me consacrer entièrement au cinéma sous-marin. Je peux dire que je suis un gars très chanceux, qui a pu transformer son hobby en profession.
MM: Vous plongez dans certains endroits depuis de nombreuses années. Quel changement observez-vous sur les espèces marines et les écosystèmes que vous documentez?
DvB: Ils changent! et ils changent rapidement! Comme tout se produit sous l'eau qu’on ne le voit pas de manière directe, l'humanité n'a aucune idée de la situation réelle sous l’eau.
La mer d'Andaman, qui était si magnifique il y a 15 ans, est maintenant quasi morte et vide. Le réchauffement global des océans a comme conséquence une eau de mer plus chaude. L'influence d’«el Nîño» a rendu il y a quelques années la mer d'Andaman plus chaude, ce qui a déclenché une réaction procant du stress pour les polypes de corail. Ils ont expulsé leurs zooxanthellae, les protozoaires flagellés unicellulaires, qui normalement vivent en symbiose dans les polypes de corail et leur donnent la couleur. Ceci s'appelle le blanchiment du corail.
Comme résultats… plus de 95% de tous les coraux durs sont morts et il n'y a désormais presque aucun corail dur vivant. Tout ceci peut sembler anodin mais permettez moi de le recadrer dans un autre contexte.
IMAGINEZ … si la même chose arrivait en Belgique..
En raison de la présence humaine toutes les fleurs et tous les arbres meurent soudainement (en seulement un an). Si dans la totalité de la Belgique toutes les fleurs disparaissaient, si seulement les squelettes des branches mortes restaient sur les arbres, si pas un arbre n’avait des feuilles.Comme résultat, toutes les abeilles disparaîtraient car il n'y aurait désormais aucune fleur. Plus de papillon comme il n’y aurait aucune nourriture pour eux. Les oiseaux mourraient car il n'y a aucun arbre pour se cacher et faire des nids. Les champignons conquerraient la Belgique car le bois putréfié est un endroit parfait pour qu'ils se développent et ils seraient partout.
Et bien, voilà à quoi ressemble la mer d’Andaman maintenant. Il n y a que des débris de corail dur mort ; plus de petits poissons des récifs dardant autour. Ils ont tous disparu. Des algues gluantes couvrent les polypes de corail morts et les branches de corail. Cela ressemble à un cimetière.
La mer d'Andaman fait 20 fois la surface de la Belgique! Il n’y a pas que le réchauffement global. Il y a également les pêches excessives.
En Asie du Sud-Est, nous ne voyons plus aucun requin pendant nos plongées. Il y a quelques années, en Thaïlande, les rencontres avec des requins léopard, parfois également appelés des requins zèbre (Stegostoma fasciatum), étaient fréquentes. De nos jours, vous êtes chanceux d’en voir un. Les statistiques confirment que dans 15 ou 20 ans, si les tendances continuent, les requins seront éteints sur notre planète!
MM: Cette année, lors de la célébration de la Journée mondiale des océans, le 8 juin 2014, vous avez été le président du jury du concours des jeunes initié par Mundus maris. Au cours de la soirée culturelle annonçant les gagnants, vous avez évoqué le drame du blanchiment des coraux en mer d'Andaman au cours de ces dernières années. Quelles sont les raisons?
DvB: La mer d'Andaman est une mer peu profonde et donc parmi les plus vulnérables. C’est l’endroit où l'influence du réchauffement global sera observée en premier. Les autres pays asiatiques du Sud-Est (et particulièrement l’Indonésie) sont plus chanceux car leurs mers sont plus profondes avec un bon nombre de courants et de flux reliant l'Océan Indien et l'Océan Pacifique.
L’effet du réchauffement global peut également être déjà observé dans des eaux à récifs peu profondes et protégées des courants où le blanchiment de corail se produit également. À mon avis, le réchauffement global est la raison principale des situations actuelles.
MM: Votre travail porte sur la beauté de la vie marine, les végétaux et animaux souvent étonnants qui forment le plus grand écosystème sur Terre, notre Océan. En même temps, plusieurs de ces belles créatures souffrent de la surexploitation, de la pollution destructive de leurs habitats et d'autres facteurs de stress. Où pouvez-vous encore trouver ces oasis de beauté dans les tropiques ou ailleurs et comment pouvons-nous les protéger du spectre de la mer d'Andaman ou pire?
DvB: Il est en effet très difficile de trouver des oasis de vie marine. C’est regrettable à dire, mais l'humanité les abîme à tous les niveaux. Dans tous les Parcs Nationaux de l'Indonésie que je connaisse, les gens pêchent toujours. Des règlements ne sont pas appliqués. Les bateaux jettent l’ancre partout. Il y a beaucoup de promesses partout dans le monde, mais rien ou très peu ne se fait en réalité. Seulement quelques actions privées ont eu quelques résultats jusqu'ici. Les efforts de la station balnéaire de Misool Eco pour protéger une zone dans le Rajah Ampat en Indonésie est remarquable à cet égard. Ils ont leurs propres gardes et patrouilles. Ils doivent travailler beaucoup pour empêcher les pêcheurs d’entrer, et les choses s'améliorent dans cette région.
Les autorités des pays «tropicaux» sont souvent laxistes et ils font peu. Déclarer certaines régions comme Parc National ne signifie pas que cette zone est vraiment protégée et sous surveillance. Je pense qu’on devrait donner moins d'argent aux instances officielles. L'aide devrait plutôt être octroyée pour protéger réellement les zones de Parc National: fournir des gardes, des bateaux de surveillance, faire des observations scientifiques, aider en éduquant les populations locales, protéger des sites spécifiques par de petits groupes de personnes.
MM: Beaucoup de scientifiques et de défenseurs de l'environnement plaident en faveur d'une grande avancée vers davantage de aires marines protégées pour couvrir au moins 10% de l'océan. Les Etats signataires de la Convention sur la Diversité Biologique ont fixé cet objectif pour 2020 et ont également voulu établir des réseaux de AMPs pour s'assurer qu'il y a des couloirs de protection et que les organismes marins existent et s’adaptent notamment au changement climatique. La date-butoir de 2010 a été manquée, mais il y a maintenant quelques avancées. Avez-vous une expérience personnelle avec de telles aires marines protégées (AMPs)?
DvB: Il y a des zones protégées, mais la plupart du temps les règles ne sont pas faites respecter. A quoi cela sert-il d’avoir un parc national aussi grand que la Belgique, si vous n’avez qu’un petit bateau et deux gardes pour garder un œil dessus? Le plus souvent les gardes ne sont pas vraiment stricts car ils sont issus de la population locale et sont accablés par la tâche - mission impossible. Cela ne fonctionne simplement pas à ce que je vois.
Je pense que les règles sont mieux appliquées dans les pays développés seulement. La plupart des eaux et des mers tropicales avec des récifs coralliens sont situées dans des pays moins développés. Ceux ci disposent de moyens insuffisants de protéger leur faune marine contre les puissantes forces de marché poussant à l'exploitation. En outre, ils ne sont pas les grands pollueurs responsables du réchauffement global. Comment s'assurer que les parcs nationaux sont également vraiment bien protégés? Nous n'avons pas de réponses convaincantes partout.
MM: Est-ce que votre travail diffuse un message pour les gens ordinaires, dont beaucoup peut-être n’auront jamais l'occasion de voir ce que vous faites en grandeur nature? Les gens peuvent-ils faire quelque chose pour protéger la vie marine?
DvB: J'ai toujours essayé de montrer la beauté et la splendeur du monde marin. Tous les jours les nouvelles sur la TV et les médias sont négatives. Aucun signal positif! C'est toujours meurtre, bombes, guerres, accidents… Je pense que lorsque les gens peuvent apprécier la beauté de la nature, un sentiment réconfortant reste dans leur esprit. Un sentiment qui les poussera à protéger notre monde et tout ce qui vit sur notre planète.
MM: Certaines de vos vidéos ont gagné des prix internationaux. Vous avez également réussi à créer un festival international de la photographie et vidéo sous-marines, le HUGYCUP. Pouvez-vous expliquer un peu plus?
DvB: Oui, mes documentaires ont été primés dans le monde entier. Je suis la seule personne à avoir reçu l'Aileron d’Or du meilleur documentaire quatre fois au Festival Mondial de Photographie Sous-marine. Disons que ce sont les Oscars pour les documentaires sous-marins. L’imagerie sous-marine est ma manière de partager les sentiments et les impressions de ce que j'éprouve.
En organisant le HUGYCUP, je réunis beaucoup de personnes intéressées à partager cette expérience également. Sur la plate-forme de HUGYCUP, j'organise également des ateliers dans le cinéma et la photographie sous-marine.
Certains des premiers participants sont maintenant de grands photographes écrivant des articles pour les magazines de plongée, d'autres font des documentaires. En fin de compte, nous atteignons de plus en plus de personnes avec qui nous pouvons partager notre amour pour les océans.
MM: Quelle a été votre plus grande joie et qu'a été votre plus grand regret au cours de votre long engagement dans la mer?
DvB: Un des moments les plus émouvants s'est produit au début de l'année. A la fin d'une plongée à Ambon (Indonésie) nous sommes arrivés en eau peu profonde et avons trouvé un poisson guitare à bouche arquée (Rhina ancylostoma) capturé par les gens du pays. Avec une corde autour de sa queue, il attendait une mort certaine. Le requin long de plus de 2m serait probablement dépouillé de ses ailerons et le reste jeté.
J'ai demandé à notre guide de plongée, un maître de plongée, de négocier avec les gens du pays ce que cela nous coûterait d’acheter le requin. Je pourrais acheter ce poisson étonnant pour 750.000 Roupies (€ 47). Notre guide de plongée a libéré le requin et lui a restitué sa liberté. Un moment magique d’émotions que notre groupe de plongée a partagé. Vous pouvez voir la libération du requin ici.
Au niveau du métrage ma plus grande joie a été les trois animaux que j’ai filmé le premier au monde. Le nudibranch Hypselodoris zebrina, le dragon des mers pygméen Kyonemichthys rumengani et le poisson grenouille psychédélique Histiophryne psychedelica. dont jusqu'ici seulement 11 spécimens ont été repérés.
Mon regret: j'ai vu jusqu'ici un seul lamantin dans ma vie, juste tué et attaché par la queue au dos d'un bateau en Indonésie. Je n’en ai jamais vu un specimen vivant.
Mon plus grand regret, l’humanité ne semble pas assez futée pour conserver le paradis qu'était la Terre. Les changements qui se produisent en notre monde vont tellement vite que je crains le pire. Chaque fois que je retourne sur un site de plongée… il ne va jamais mieux, il devient toujours pire.
MM: Quels sont vos prochains projets?
DvB: à partir de mi-février jusqu'à mi-avril 2015 je serai à Puerto Galera, Philippines, pour coordonner le HUGYCUP. À la fin de l'année prochaine, je serai dans le Rajah Ampat, Indonésie, pour deux croisières entre Sorong et Ambon pour découvrir et filmer le Détroit de Dampier et la région de Misool. Et cet hiver sera le moment de travailler à un nouveau documentaire qui devrait être lancé en 2015.
MM: Merci beaucoup.
Mundus maris est fier d'être parmi les sponsors de HUGYCUP 2015. Cornelia E Nauen a posé les questions. Images par son épouse Caroline.
Plus d'info de Danny van Belle sur le site web à www.dannyvanbelle.com.