La fermeture d'urgence de la pêche au cabillaud en mer Baltique en 2019 fut le triste point culminant de la mauvaise gestion des pêcheries de la mer Baltique. L'organisation faîtière des pêcheurs artisanaux tiers, Low Impact Fishers Europe (LIFE), avait invité les gestionnaires, les ONG et d'autres parties intéressées à une consultation afin d'étudier les moyens d'enrayer cette spirale désastreuse. Depuis 2019, la situation ne s'est pas améliorée. Au contraire. L'effondrement du cabillaud dans la Baltique occidentale a également été suivi par celui du hareng et du sprat, principales proies du cabillaud. Les poissons plats sont toujours là mais ne peuvent remplacer ni la fonction écologique ni le rôle économique des espèces disparues dans l'écosystème. Marta Cavallé, directrice exécutive de LIFE, accompagnée de Brian O'Riordan, son prédécesseur, ont ouvert la réunion et souhaité la bienvenue à tous les participant.

Le coordinateur de LIFE BANS, Christian Tsangarides, a dressé un aperçu bien documenté du déclin des ressources démersales (du fond) et pélagiques dans différentes zones de la Baltique. Il a rappelé au public qu'une mer semi-fermée dont la salinité diminue progressivement au nord et à l'est de sa connexion avec la mer du Nord constituait en soi un habitat difficile empêchant la plupart des espèces de poissons d'atteindre les tailles plus importantes de la mer du Nord et de l'Atlantique.

Il s'est également interrogé sur le bien-fondé d'autoriser la pêche industrielle du hareng et du sprat en vue de leur réduction en farine de poisson pour l'engraissement du saumon norvégien, alors que ce même poisson, s'il était autorisé à grandir et à être pêché avec des engins moins agressifs et en plus petites quantités pour la consommation humaine directe, fournirait des emplois et des revenus à des milliers de familles.

Le plan de gestion de 2016 et le mépris de l'application fidèle de la législation en place depuis la réforme de la politique commune de la pêche (PCP) il y a 10 ans ont certainement joué un rôle dans la situation d'urgence actuelle. Il était alors peu probable de ramener les ressources à un état productif, au moins dans un court laps de temps. Il a notamment montré que le politique fixait l'objectif de biomasse de poissons sauvages au-dessus du niveau nécessaire pour produire le rendement maximal durable (RMD), notamment pour tenir compte des interactions entre les espèces. Il reconnaissait ainsi l'impossibilité d'exploiter toutes les espèces - prédateurs et proies - au même niveau. Au lieu de cela, dans la pratique, les objectifs de quotas annuels pour les pêcheries ont été fixés aux niveaux du RMD, ce qui a eu pour effet d'éroder la biomasse ambiante. Et comme on pouvait le constater dans la pratique, même si la classe d'âge des géniteurs était bonne, elle était capturée en grande partie avant même d'avoir atteint la taille de reproduction, ce qui aggravait la situation d'urgence.

Des témoignages de pêcheurs ont encore illustré ce déclin en montrant comment eux et leurs collègues pêcheurs côtiers avaient perdu une source de revenus l’une après l'autre à cause des effondrements en série. Ces effondrements ont été principalement provoqués par l'attribution de la quasi-totalité des quotas aux pêcheurs industriels, qui pouvaient capturer en quelques jours ce que les pêcheurs artisanaux capturaient en quelques semaines, voire quelques mois, puis passer à autre chose car leurs navires plus grands avaient un rayon d'action beaucoup plus grand. Le nombre de pêcheurs artisanaux ne cesse de diminuer.

Bengt Larsson, chef de file des pêcheurs artisanaux suédois (Sveriges Yrkesfiskares Ekonomiska Förening, SYEF), fit le bilan de 40 années de pêche côtière. Il a expliqué comment il essayait de survivre malgré les difficultés. Aujourd'hui, il n'y a plus ni cabillaud ni hareng plus lucratifs que ceux capturés par des chaluts industriels. Pour ne pas abandonner, il s'est réorganisé et s'est retiré dans l'archipel suédois, là où les chalutiers ne peuvent pas aller. Comme lui, quelques pêcheurs artisanaux peuvent encore gagner leur vie, surtout s'ils parviennent à éliminer les intermédiaires et à commercialiser directement leurs prises de haute qualité.

David Lange, de l'organisation FSK, s'est fait l'écho de cette expérience au Danemark, où un petit nombre de pêcheurs artisanaux tentent encore de résister, mais n’y arrivent que s'ils se débrouillent seuls, sans collègues, pour réduire les coûts. L'introduction des quotas individuels transférables (QIT) a entraîné une concentration massive et très rapide de la propriété du capital dans les flottes danoises et n'a laissé que très peu d'espace aux pêcheurs artisanaux qui utilisent des engins à faible impact dans une zone géographique restreinte.

Aussi affecté que soit l'écosystème dans son ensemble, les pêcheurs artisanaux ressentent également la concurrence des cormorans et des phoques qui capturent les mêmes espèces cibles, désormais disponibles en quantités minimes. Ils ont également insisté sur le fait qu'il fallait agir pour remédier aux prises accessoires extrêmement élevées des pêcheurs industriels de la région, qui ont augmenté au fil du temps. Ils ont également mentionné que la remobilisation du CO2 des sédiments par le chalutage de fond était une insulte à la biodiversité et à la protection du climat.

Rainer Froese, du GEOMAR à Kiel (Allemagne), a ensuite expliqué au public comment les quotas étaient fixés, ce que les séries chronologiques de données montraient et ce qui pouvait et devait être changé pour reconstituer les ressources dans un écosystème fonctionnel capable de produire conformément au mandat de la PCP.

Il a souligné qu'il avait basé l'ensemble de sa présentation sur des données extraites à grand-peine des bases de données du Conseil international pour l'exploration de la mer (ICES), dont le siège se trouve au Danemark. Ce sont les gouvernements qui déchent leurs scientifiques au ICES.

 

Depuis la réforme de la PCP en 2013, la Commission européenne utilise l’ICES comme principale source d'avis scientifiques pour établir des prévisions annuelles de la biomasse attendue des principales espèces commerciales pour l'année suivante. Souvent, plus de 30 % de cette biomasse attendue sont ensuite recommandés comme captures proposées en tant que prise maximale équilibrée (PME). Sur cette base, la Commission propose un total admissible des captures (TAC) qui est débattu lors de la réunion annuelle des ministres de l'UE chargés de la pêche. Les ministres décident alors de la référence légale pour les captures de l'année suivante, inévitablement en tenant compte des questions politiques, économiques et sociales.

Il s’avère que les captures ont diminué rapidement, comme le montre le graphique détaillé ci-dessus pour le cabillaud et les principales espèces commerciales pêchées dans la Baltique occidentale (diapositives tirées de la présentation de Rainer Froese). Pour l’une ou l’autre raison, les conseillers de l’ICES ont proposé des captures beaucoup trop élevées. Sur la base de leurs modèles de RMD, les captures recommandées en 2019 dépassent même la biomasse effectivement présente dans l'eau.

Depuis 2015, lorsque la PCP réformée est progressivement devenue opérationnelle, les propositions de TAC de la Commission ont eu tendance à être plus conservatrices que les avis de l’ICES, et les ministres ne se sont généralement pas beaucoup écartés des propositions de la Commission pour le cabillaud et ses espèces nourricières, le hareng et le sprat. Il s'est pourtant avéré que les flottes n'ont souvent même pas pu capturer le quota alloué, parce que la biomasse ambiante était tout simplement trop faible pour produire la récolte prévue.

Ce qui serait durable - une fois que la biomasse est à nouveau suffisante dans l'eau pour produire au delà du RMD - c'est de viser une mortalité par pêche de 20 % inférieure pour les prédateurs à ce qui est nécessaire pour le RMD. Pour les espèces proies, la moitié de la mortalité par pêche du RMD de chaque espèce ne devrait pas être dépassée. De cette manière, la stratégie d'exploitation tiendrait compte des interactions entre les espèces, de la variabilité de l'environnement et de l'incertitude des données. Une telle approche de gestion conduirait à une plus grande rentabilité de la pêche et à une production alimentaire stable.

 

 

A la lumière de cette explication, il est grand temps d'arrêter la pêche pendant un certain temps dans l'espoir de laisser les populations se reconstituer. C'est ce qui s'est passé dans le passé lorsque les pressions ont été un peu relâchées pour certaines espèces. Vue la faible biomasse de cabillaud et son manque de nourriture, il n'est cependant pas certain que l'on parvienne aussi rapidement que prévu en 2015 à des biomasses plus élevées de toutes les espèces, y compris le hareng et le sprat.

En tant que généraliste, le cabillaud pourrait également se nourrir temporairement de crabes, de moules et d'autres organismes vivant sur le fond, pour autant qu’il y ait suffisamment d'oxygène dans les eaux proches du fond. Ce n'est pas le cas partout, malgré certaines réductions apparentes des effluents provenant de l'agriculture industrielle. De plus, le réchauffement des eaux peu profondes de la Baltique réduit encore les niveaux d'oxygène dissous dans l'eau. Après avoir laissé la dégradation atteindre ce niveau, il n'est pas du tout certain que le rétablissement se fasse rapidement. Mais ne pas essayer serait un manque de courage.

Le débat qui a suivi a permis de mieux comprendre l'évolution du processus décisionnel. Maja Kirchner a reconnu les marchandages qui se produisaient régulièrement avant la dernière réforme de la PCP, mais que depuis 2015, la barre a été placée très haut pour s'aligner sur les avis scientifiques. Elle a également souligné que les États membres avaient la possibilité de mettre en place des régimes de gestion adaptés aux régions et de se référer explicitement à des objectifs supérieurs au RMD plutôt qu'au seul RMD, conformément à la PCP. Cette mesure et d'autres méritent certainement d'être explorées pour faire face à la situation d'urgence dans les eaux de la mer Baltique.

Écouter le « bon sens » et les récits empiriques des pêcheurs artisanaux, qui sont quotidiennement en mer, fait également partie des recommandations incontournables pour construire les prochaines étapes. Cela pourrait permettre une meilleure prise en compte de la réalité. Bernd Söndgerath a mentionné une expérience récente en Allemagne, où certains pêcheurs côtiers sont utilisés pour la collecte de données, à titre de compensation pour les prises manquantes et pour ne pas perdre leurs compétences et leur héritage culturel.

Il est encourageant de constater que les représentants de l’ICES et des institutions se sont montrés ouverts à ce qu'ils ont entendu au cours des présentations et des discussions. La majorité d'entre eux semblait certainement penser que la situation désastreuse était davantage le résultat de l'échec de la mise en œuvre des dispositions de la PCP réformée que des faiblesses inhérentes à la politique. Alors, passez de la parole aux actes ! Et faites de la place pour les pêcheurs artisanaux après la reconstitution, aux dépens d'une industrie qui a dépassé sa durée de vie.

L’agenda de «Il n'y a pas de pêcheurs du futur sans poissons dans le futur» se trouve ici. La revue de presse est ici et lanalyse des ressources par la plateforme LIFE, assortie de propositions sur les mesures à prendre pour reconstruire lécosystème sont ici.

Traduction française de Christiane van Beveren.